Le coup de Mazarin
Nous avons besoin de plus de logements mais pas de logements sociaux. C’est même tout le contraire qu’il faudrait faire.
Au début du XVIIe siècle, Aix-en-Provence est une cité très prospère qui bénéficie à la fois de sa position stratégique sur des axes commerciaux majeurs (la proximité du port de Marseille, la via Aurelia, la route d’Avignon1…) et de l’union perpétuelle de la Provence au Royaume de France (1487) qui fait de la cité comtale un centre politique de premier plan. Problème, néanmoins : elle est encore enfermé dans son enceinte médiévale2 — soit quelque chose comme 2.7 km² qui pourraient sembler confortables pour environ 27’000 habitants si on ne tient pas compte de la profusion d’édifices publics (le palais comtal) et religieux (les couvents3) qui occupent une place considérable. En réalité, les habitants vivent les uns sur les autres et il y a même des quartier de la ville où ça pose de vrais problèmes de salubrité4.
Et cette densité est d’autant plus mal vécue que les aixois se sont considérablement enrichis. C’est un leitmotiv de l’histoire : la première chose que cherchent à acquérir les habitants d’une ville dès qu’ils en ont les moyens, c’est de l’espace — des mètres carrés de plancher d’abord puis, lorsqu’on est bien pourvu de ce point de vue, on se fait plaisir avec des espaces extérieurs5. À Aix-en-Provence, un exemple illustre parfaitement cette idée : au début du XVIIIe siècle, la très riche famille d’Albertas s’est lancée dans la rénovation de son hôtel particulier ; bâtiment considérable qui présentait toutefois un gros défaut : ça façade principale donnait directement sur la rue Espariat — laquelle est très étroite. Comment ont-ils résolu le problème ? Eh bien en rachetant tous les immeubles en face pour les faire démolir et construire une jolie petite place à la mode des places royales. En ville, l’espace est un luxe.
C’est dans cette ambiance que Michel Mazarin, le petit frère de Jules, est nommé archevêque d’Aix-en-Provence en 1645, comprend très vite le problème et imagine sans doute tout aussi vite comment il peut utiliser la fortune des riches aixois pour le régler. Évidemment, si les gens s’entassent dans des logements minuscules et hors de prix, ça signifie que l’offre est insuffisante et qu’il faut donc en construire de nouveaux — un gamin de dix ans comprend ça6. Sauf que, dans ce cas d’espèce, Michel est confronté à un problème typique de l’époque : l’espace disponible se trouve à l’extérieur des remparts et il est rigoureusement hors de question de priver Aix-en-Provence de son système défensif. Autrement dit : il va falloir détruire des murailles, construire un quartier puis, reconstruire des murailles plus loin. Ça risque donc de coûter un peu d’argent (euphémisme).
D’où l’idée géniale de Michel : plutôt que de se lancer dans la construction de logements sociaux à destination de celles et ceux qui ont des difficultés à se loger intramuros, il va faire exactement le contraire et créer un quartier pensé jusque dans ses moindres détails pour les riches. Un plan orthogonal avec des rues larges et aérées, des immeubles de standing avec de belles cours intérieures arborées et, pour être absolument certain de faire rêver une clientèle fortunée, un cours monumental de 42 mètres de large qui permet de rentrer ou sortir d’Aix en carrosse. Autrement dit : il a remplacé le foncier qui lui manquait par du capital — exactement comme pour les gratte-ciels de Manhattan — et il est allé chercher ce capital là où il était.
Succès fulgurant : les familles les plus riches d’Aix7 se sont jetées sur les hôtels particulier du quartier Mazarin comme la vérole sur le bas-clergé8 tandis que la bourgeoisie locale s’arrachait à prix d’or les beaux appartements tout autour. C’est comme ça que Michel Mazarin a financé l’expansion de la ville et les infrastructures qui allaient avec (les murailles). Ce sont les riches qui ont payé et ils l’ont fait avec le sourire — les contribuables, notamment ceux des classes moyennes, n’ont sans doute été sollicités que de façon marginale et peut-être même pas du tout.
Une autre vertu de cette façon de faire, c’est l’impact qu’elle a eu sur les moins fortunés des aixois et sur la ville sans son ensemble. Déjà, la création du quartier Mazarin se traduit par un accroissement considérable de l’offre de logements et donc, par une baisse générale des prix de l’immobiliers. Ensuite, notez bien le processus : quand les plus riches déménagent dans le nouveau quartier, ils revendent les logements haut de gamme qu’ils occupaient jusque-là à des gens moins fortunés qu’eux qui peuvent, dès lors, améliorer substantiellement leurs conditions de vie à moindre frais. Évidemment, ces derniers ont eux aussi déménagé et cédé leurs anciens logements à des gens un peu moins riches… et ainsi de suite. À la fin de la chaine, il ne reste plus que les taudis insalubres dont plus personne ne veux et qui peuvent donc être détruits9. En net, on a donc créé du logement haut de gamme (parfaitement isolé, pour être moderne) et on a détruit du logement bas de gamme (des passoires thermiques) ; soit une amélioration de la qualité moyenne du bâti aixois. Les politiques de construction de logements sociaux aboutissent en général à l’effet inverse : ça coûte cher aux contribuables et on fait souvent ça parce qu’une loi l’impose et donc, on construit du bas de gamme.
Pour finir, il y a aussi une dimension spatiale intéressante : la création du quartier Mazarin a fait baisser les prix de l’immobilier à l’intérieur du cœur historique de la ville — c’est-à-dire là où se trouvent les emplois. C’est une énorme différence avec bien des projets de logements sociaux qui, toujours pour des raisons de coûts (ou d’autres moins avouables), ont été développés en périphérie, là où le foncier est moins cher, sans même prendre la peine d’organiser la mobilité des gens qui sont supposés y vivre. Quant aux riches, ils ont largement les moyens de s’offrir des services de transports performants comme le train express qui permet de rejoindre le centre ville en quelques minutes. Mieux encore : plutôt que de concentrer les moins fortunés à un seul endroit (avec toutes les conséquences que vous connaissez), la méthode de Mazarin permet à ces derniers de choisir eux-mêmes où ils souhaitent vivre. C’est-à-dire que ça créé de la mixité mais une mixité choisie et intelligente10.
Route majeure parce que les papes s’installent en Avignon de 1309 à 1418 mais surtout parce qu’elle devient un des principaux axes de communication avec le Royaume de France dès le XVe siècle : elle sera intégrée à la route royale n°7 en 1824 puis deviendra un tronçon de la route nationale n°7 en 1933. Aujourd’hui, les autoroutes lui ont volé la vedette et elle s’appelle principalement la D7N.
Le bourg Saint-Sauveur et la ville comtale sont déjà réunies depuis depuis 1357.
Des Augustins (au niveau de la place du même nom), des Cordeliers (d’où le nom de la rue), des Grands-Carmes (vers le passage Agard), des Jacobins (a.k.a. Dominicains ou Prêcheurs — d’où la place) et je vous passe les églises. Si vous connaissez Aix et voulez vous faire une idée, le plan de Jacques Maretz (1624) est une petite merveille.
C’est typiquement le cas de l’actuel forum des Cardeurs, juste à côté de l’Hôtel de Ville : c’était autrefois un coin extrêmement dense (et la création du forum à la place n’a rien d’antique : elle date de 1963).
Au sens de l’espace extérieur privé. Il faudra bien que le planificateur s’y fasse : les espaces publics appartiennent par définition à tout le monde et donc à personne en particulier — ils passeront toujours après les mètres carrés habitables.
Chez nos ministres, c’est moins systématique.
Pas la famille d’Albertas : il sont sans doute arrivés trop tard (il semble qu’ils étaient marseillais au moment des faits).
Le superbe hôtel de Caumont, par exemple, devient la propriété de François de Rolland, seigneur de Réauville et marquis de Cabannes et président de la Cour des comptes.
C’est probablement comme ça que la place de l’Hôtel de Ville a été créée entre 1655 et 1678.
La « mixité sociale » qui consiste à vouloir faire vivre des gens très pauvres à proximité immédiate de gens très riches relève du sadisme pur et simple.