Réaction en chaine
Quand les plus riches d’entre nous se font construire des logements neufs, c’est à tout le monde qu’ils rendent service.
J’ai déjà dit, ici et ailleurs, que la meilleure politique du logement que vous puissiez imaginer consiste à laisser des gens relativement aisés — ou même riches — se faire construire des logements neufs. Je remets le sujet sur la table parce qu’une étude sur des données suédoise apporte non seulement une énième confirmation mais, surtout, démontre que les effets de ce type de politiques sur les conditions de logement des plus modestes d’entre nous sont beaucoup plus rapide que ce que je pensais. En l’occurrence, cette étude porte sur l’intégralité de la population et du stock de logement suédois de 1990 à 2017.
En simplifiant un peu, voici comment ils ont procédé : lorsque de nouveaux logements sont commercialisés, les auteurs observent le niveau de revenu de leurs nouveaux habitants et appellent ça le round 0. Partant de là, ils identifient les logements (désormais vacants) qu’occupaient les Suédois du round 0 lors de l’année précédente et estiment le niveau de revenu relatif1 de ceux qui viennent s’y installer pour former un round 1 puis, ils répètent la même opération pour créer les rounds suivants (2, 3, etc.). L’intérêt de cette approche, c’est d’identifier une réaction en chaine initiée par la construction de nouveau logements (round 0) et d’estimer le niveau de revenu des ménages qui s’installent à chaque round (round t) dans les logements laissés vacants au round précédent (round t-1).
Les résultats montrent, comme on pouvait s’y attendre, que le niveau de revenu relatif baisse au fur et à mesure qu’on progresse dans les rounds — i.e. les ménages de chaque round sont remplacés par des ménages un peu moins riches au round suivant — mais ce qui est fascinant, c’est que ça baisse très vite. C’est-à-dire que l’impact de la construction de logements neufs de bonne qualité, plutôt destinés à des gens aisés, profite très rapidement à des ménages beaucoup plus modestes : aux rounds 3, 4 et 5, les gens qui déménagent gagnent moins de la moitié de ce que gagnent ceux du round 0 mais, surtout, les principaux bénéficiaires de la réaction en chaine dès le premier round sont les ménages les plus modestes (ci-dessous, le 1er quartile).
J’insiste : on savait déjà que laisser les riches se faire construire des logements neufs (et donc, à priori, du haut de gamme) déclenchait ce type de réactions en chaine qui finissait par bénéficier aux plus modestes — c’est ce que j’ai essayé d’illustrer avec le quartier Mazarin d’Aix-en-Provence. Ce que cette étude apporte de vraiment nouveau, c’est que le mécanisme de transmission est incroyablement rapide : en quelque mois, le déménagement des ménages du round 0 se diffuse au travers de toute la distribution des revenus.
Résumons :
Là où une politique de logements sociaux coûte très cher aux contribuables, laisser des gens aisés se faire construire de nouveaux logements ne coûte rien et peut même alimenter les caisses publiques.
Si une politique de logement sociaux ne bénéficie qu’aux plus modestes (et, éventuellement, aux élus qui pratiquent le clientélisme), cette façon de procéder bénéficie à a presque tout le monde2 — notamment les classes moyennes.
Parce que ça coûte cher, les politiques de logement sociaux tendent à dégrader la qualité moyenne du bâti (pensez isolation par exemple). Construire du haut de gamme, au contraire, permet d’améliorer la qualité moyenne du stock.
Les politiques de logement social tendent à créer des clusters de pauvreté, souvent éloignés des zones d’emploi et peu accessibles. La chaine de réaction décrite ci-dessus permet, au contraire, d’organiser une mixité progressive3 et choisie.
Bref, les politiques de logement social sont une aberration à tout point de vue. Si vous souhaitez réellement améliorer le sort des moins fortunés d’entre nous (lesquels sont, pour votre information, typiquement vos enfants ou petits-enfants), vous savez ce qu’il vous reste à faire.
Le niveau de revenu des habitants des rounds suivants (>0) est mesuré par rapport à celui des Suédois du round 0. Il va de soi que, si le ménage du round 0 est millionnaire, ceux qui viendront s’installer dans leur ancien logement seront vraisemblablement des gens plutôt aisés. Symétriquement, un nouvel immeuble destiné à la classe moyenne libérera plus probablement des logements pour des ménages relativement modestes.
La seule véritable exception étant les investisseurs en immobilier locatif qui ont, effectivement, un peu à y perdre mais ça relève en général d’un manque à gagner plus que d’une perte sèche.
Je l’ai dit et je le répète : faire vivre des gens très pauvres à proximité de gens très riches, ça relève du sadisme social. Le meilleur copain de lycée que puisse avoir un gamin issu d’une immigration récente et pauvre, c’est le fils du plombier du coin qui a pu s’offrir un pavillon avec piscine et roule dans une voiture neuve.