Le retour de la marche
Les grandes villes les plus productives sont aussi des villes où on marche vite et beaucoup — et ça ne doit sans doute rien au hasard.
Vous habitez Vincennes et devez aller travailler tous les jours à La Défense — mettons, pour simplifier, à proximité immédiate de la station La Défense — et nous allons estimer que vous marchez à 1.4 m/s (5.04 km/h). De là, deux possibilités :
Vous marchez 400 mètres (4 minutes et 46 secondes) pour rejoindre la station de métro Château de Vincennes et empruntez la ligne 1 (36 minutes et 11 secondes) ;
Vous marchez 900 mètres (10 minutes et 43 secondes) jusqu’à la station de RER de Vincennes et prenez la ligne A (19 minutes et 56 secondes).
Je vous épargne les additions : porte à porte, l’option métro consomme 40 minutes et 47 secondes de votre temps tandis que l’option RER c’est 30 minutes et 39 secondes — soit un écart en faveur du RER de 10 minutes et 18 secondes.
Que faites-vous ?
Je suppose que vous êtes une solide majorité à prendre le RER pour la bonne et simple raison que le principal critère de choix de notre mode de transport, en particulier quand il s’agit de déplacements pendulaires, c’est le temps de trajet — lequel s’entend toujours porte à porte mais n’est pas toujours un temps objectif (j’y reviendrai une autre fois). Raison pour laquelle vous êtes en principe prêts à marcher 500 mètres de plus pour gagner ces 10 minutes. C’est aussi pour ça que, partout où ça a été mesuré, on observe que les voyageurs du quotidien acceptent de marcher plus longtemps pour rejoindre une station de train qu’un arrêt de bus (par exemple : à Sidney ou en Norvège) : ça n’a rien à voir avec je ne sais quelle caractéristique sociologique ; c’est tout simplement que les trains offrent presque toujours des vitesses commerciales (i.e. en tenant compte des arrêts intermédiaires) significativement supérieures à celles des bus.
Autrement dit, plus votre système de transport en commun offre une vitesse commerciale élevée, plus vous accepterez de marcher longtemps (la relation n’est sans doute pas linéaire mais passons pour le moment). Or, nous savons aussi que cette même vitesse commerciale est, du moins potentiellement, directement proportionnelle à l’espacement entre deux stations. C’est une excellent nouvelle : pour une fois, il n’y pas de contradiction. Ce qui est plus embêtant, en revanche, c’est que nous héritons d’une histoire et qu’il n’y a pas si longtemps de ça, nos trajets quotidiens étaient significativement plus courts d’aujourd’hui — et nos réseaux de transports étaient évidemment adaptés à cette réalité désormais révolue.
Par exemple, Paris hors bois, c’est une surface de 84.45 km² dans laquelle on trouve 245 stations de métro (il y en a 63 autres mais à l’extérieur du périphérique). En supposant qu’elles sont réparties de façon homogène (ce qui n’est pas tout à fait vrai mais admettons), ça nous donne 344'694 m² par station soit l’équivalent d’un disque de 331 mètres de rayon — 414 mètres si on tient compte d’un facteur de détour de 1.25 (c’est généreux : il semblerait que Paris soit plutôt à 1.2). Avec une vitesse de marche de 1.4 m/s, ça signifie donc qu’où que vous soyez à Paris, vous êtes à moins de 5 minutes à pied d’une station de métro. C’est-à-dire que le métro de Paris est parfaitement adapté aux besoins de parisiens qui travaillent intramuros mais, au regard de l’aire d’influence de la capitale aujourd’hui, il n’est plus possible de se passer de systèmes comme le RER ou le Grand Paris Express.
Pour nos grandes villes de province, qui sont bien moins dotées, ça pose la question du dimensionnement des interstations d’éventuels systèmes de transport à l’échelle métropolitaine. Fait stylisé : les grandes villes les plus productives, celles où les salaires sont les plus élevés, sont aussi des villes où on marche vite et beaucoup — et ça ne doit sans doute rien au hasard. Notez, pour finir, que nos amis médecins ne cessent de nous recommander 30 minutes de marche rapide par jour : à 1.4 m/s (c’est rapide), ça correspond à 1.26 km à l’aller et autant au retour.
Crédit photo : Ryoji Iwata.