La valeur du temps
Votre temps est une quantité finie qui a d’autant plus de valeur que vous en manquez, notamment lorsque vos trajets quotidiens en consomment trop.
Ce qu’on appelle valeur du temps, en économie des transports, c’est le montant, en argent, que vous seriez prêt à débourser pour réduire votre temps de trajet d’une heure. Comme toute valeur, la valeur du temps est subjective ; ce qui signifie qu’elle varie en fonction des gens, du contexte et d’encore pas mal d’autres choses. Par exemple, la valeur du temps de Jeff Bezos dans le cadre d’un déplacement professionnel est sans doute significativement plus élevée que la votre quand vous prenez la route pour partir en week-end.
Pour illustrer l’idée et vous donner quelques ordres de grandeurs, je vais utiliser ci-dessous les valeurs tutélaires (i.e. officielles) issues du « rapport Quinet » de 2013 qui, en France, fait référence en la matière. Ces données datant de 2010 et étant exprimées en euros de 2010, je les ai actualisées en euros de 2022 avec 1 €2010 = 1.26 €2022 — ça correspond à la hausse du salaire net moyen des français en 12 ans mais aussi (wink, wink) au rythme de l’inflation sur la période. Pour simplifier, mais aussi parce que c’est le principal sujet qui nous occupe, nous allons nous concentrer sur les trajets domicile-travail en milieu urbain.
Sur cette base, la valeur du temps moyenne était de 12.6 euros de l’heure et donc de 21 centimes la minute. Ça signifie que, selon cette estimation, un français moyen serait prêt à payer 21 centimes (de plus) pour réduire son trajet aller d’une minute — et donc, en principe, 21 autres centimes pour le retour. Pour un déplacement professionnel (i.e. dans le cadre de votre travail) comptez 22.1 euros/h en moyenne, pour un trajet personnel ce sera plutôt 8.6 euros/h et en Île-de-France, où les salaires sont significativement plus élevés d’ailleurs en France, l’heure de trajet domicile-travail vaut 15.9 euros. Bref, gardez bien en tête que ces 12.6 euros/h sont une moyenne nationale dans le cadre bien spécifique (mais crucial) des déplacements que vous faites quotidiennement entre chez vous et votre lieu de travail — moyenne que l’on peut utilement comparer à comparer avec le salaire horaire moyen des salariés du privé qui était de 18.5 euros en 2022.
Il se trouve, par ailleurs, que le temps ne s’écoule pas de la même façon en fonction d’un certain nombre de paramètres. Par exemple, la minute que vous passez sur le quai à attendre votre rame de métro compte pour 90 secondes et le temps que vous prend une rupture de charge (i.e. une correspondance) compte double. Idem pour vos conditions de confort : si vous avez une place assise, le temps s’écoule normalement, mais si vous êtes debout, le temps s’allonge et il s’allonge d’autant plus que vous êtes nombreux dans ce cas — dans une rame considérée comme pleine, (i.e. 4 passagers debout par /m²), la minute vaut presque 97 secondes (voir la formule page 154). Autrement dit : le temps passe plus vite lorsque vous êtes confortablement assis dans un train direct (avec du WiFi et l’air conditionné) que quand vous courrez d’une rame de métro bondée à l’autre.
À ce stade, vous vous demandez peut-être comment on en est arrivé à ces chiffres et c’est une question tout à fait légitime dans la mesure où on calcule des moyennes d’hypothèses (i.e. « combien seriez-vous prêt à payer si… ») sachant, par ailleurs, que s’agissant de transports publics, les utilisateurs supportent rarement le coût réel du service qui leur est rendu (il est largement socialisé). La réponse est « ça dépend » : l’estimation de la valeur du temps fait l’objet d’une littérature de plus en plus abondante et on voit régulièrement surgir des papiers qui viennent bousculer les normes officielles et autres idées préconçues. Dans le rapport utilisé ci-dessus, par exemple, vous trouverez une réflexion très intéressante (page 149) sur un éventuel lien entre valeur du temps et durée du déplacement — j’y reviendrais une autre fois.
Toujours est-il que la valeur du temps est tout ce qu’il a de plus réel et qu’un simple exercice de l’esprit vous convaincra qu’elle ne peut être que strictement positive pour tout le monde. Le temps est une quantité finie et il est d’autant plus précieux que nous en manquons ; ça se traduit par une propension à payer des services de transports plus rapides qui nous permettent d’en économiser mais aussi, on l’oublie trop souvent, des logements plus chers qui nous permettent de raccourcir les distances.
Jeu : observez cette carte des prix immobiliers à Saint-Germain-en-Laye (78100) et déduisez-en où se trouve la station du RER.
Encore une fois, et au risque de me répéter, mobilité et urbanisme sont un seul est même sujet. C’est la capacité à se déplacer dans l’espace urbain en un temps raisonnable qui, via le mécanisme des prix, créé la densité.
Je ne résiste pas à l’envie de poster ici un lien vers cet article de Nicholas Fournier et al. qui mérite, à mon humble avis, une lecture attentive.
Crédit photo : Akram Huseyn.